Alors qu’une trentaine de fonctionnaires de la Police nationale ont déjà mis fin à leurs jours cette année, la direction souhaite former ses agents à anticiper les signaux d’alarme.

Souffrance au travail 

Un comportement inhabituel, des réactions inappropriées…. Les premières “sentinelles” de la police  sont formées dans le but d’aider les policiers en situation de mal-être, qui seraient susceptibles de se donner la mort.

Fin mai, deux gendarmes et deux policiers se sont suicidés encore. 

Il y a trois ans, une mobilisation des fonctionnaires revendiquant plus de moyens pour lutter contre le suicide avait fait grand bruit. Ce sujet est d’ailleurs été discuté au Beauvau de la sécurité.

Face à ce constat, treize personnels (CRS, police judiciaire, DGSI…) ont reçu, début juin, une formation afin d’aider au mieux les policiers en situation de souffrance. Ils ont été « recrutés » selon leurs profils : altruistes, attentifs entre autres selon le policier Rafael Allard, co-animateur de la formation.

Un objectif : 2.000 “sentinelles” formées d’ici à la fin de l’année

Parmi eux, Olivier s’est porté spontanément volontaire. Ce major a connu il y a cinq ans un burn-out : “J’ai eu deux affaires de viol sur des enfants de 4 ans en une semaine, ça m’a anéanti”, confie ce quinquagénaire. Il passe alors quatre mois au château du Courbat, en Indre-et-Loire, spécialisé dans l’accueil des forces de l’ordre en souffrance psychologique. Il va mieux.

“Depuis mon passage, j’ai envoyé plusieurs collègues là-bas, j’ai déjà fait un peu la sentinelle”, déclare-t-il.

D’autres ont été proposés par leur supérieur hiérarchique. “Ils m’ont rassuré et m’ont dit que je ne serais pas responsable s’il devait se passer quelque chose”, raconte le policier, président de l’Amicale de son service.

Depuis une vingtaine d’années, ce ne sont pas moins de 40  policiers qui se suicident en moyenne chaque année. Rien qu’en ce début d’année, la Police nationale enregistre 30 suicides, dont 12 en janvier. Devant ce fléau, son patron Frédéric Veaux a annoncé vouloir former quelque 1.950 “sentinelles” en 2022, soit  1 pour 70 à 80 fonctionnaires. 

Réagir rapidement

“Le suicide, c’est très tabou, encore plus dans la police. On n’en parle que lorsque ça arrive, quand c’est trop tard”, dit Olivier, l’un des stagiaires. Il a connu également un épisode dépressif en 2021. “Personne n’est venu me voir, on manque de mains tendues”.

“Tendre des perches”, c’est ce que l’on attend d’un « sentinelle “, répète Rafael Allard. “Ne comptez pas sur vos collègues pour venir vers vous. Pour beaucoup, parler de ses problèmes est impudique”. Quels mots choisir ? “On peut avoir peur de se tromper”, souligne Séverine. “Poser la question des idées suicidaires n’induira pas de passage à l’acte”, rassure Laura Novack, co-formatrice et médecin au ministère de l’Intérieur.

“Il faut rester naturel, ne pas adopter une posture trop caricaturale de psy qui pourrait freiner les échanges”, conseille Rafael Allard.

Une “sentinelle” doit pouvoir réagir rapidement face à un policier démuni, lui conseiller un professionnel de santé. “Votre mission à un moment doit s’arrêter. Ce n’est pas vous qui allez faire parler votre collègue 45 minutes chaque semaine, c’est le psy”, insiste le formateur.

Évaluer la concomitance des signaux d’alerte

Une grille d’évaluation, avec des drapeaux de couleur, aide les stagiaires à évaluer le degré de souffrance d’un collègue et, ainsi, répondre au mieux à ses attentes.

Quand le policier perd l’appétit, devient irritable ou boit de plus en plus d’alcool, c’est un simple drapeau jaune. Il faut se préoccuper de l’accumulation, de l’apparition soudaine de ces changements dans un contexte à risque comme des antécédents suicidaires dans la famille, explique Laura Novack.

En cas de propos suicidaires, c’est un drapeau rouge. “Les personnes en souffrance interpellent rarement de façon claire et explicite, d’où la possibilité de passer à côté”, souligne Rafael Allard.

Le drapeau noir, enfin, se lève lorsque le suicide est clairement énoncé avec une date, l’arme ou un scénario. Dans ce cas, la hiérarchie est immédiatement informée. Depuis 2000, en moyenne, 60% des policiers qui se suicident chaque année le font avec leur arme de service.